Un réseau d'exploitations mis en place par l'État expérimente depuis dix ans la réduction à grande vitesse du recours aux pesticides dans les champs.
Les usages ont diminué de 25% dans toutes les filières, mais la baisse du glyphosate est moins forte.
Des chiffres qui montrent qu'il faudra modifier en profondeur le système agricole pour se passer de l'herbicide controversé.

Dans le débat sur le glyphosate, ce puissant herbicide dont la Commission européenne a prolongé jeudi l'usage pendant dix ans malgré les conséquences environnementales et les débats sanitaires, ses défenseurs avancent souvent le même argument : cette substance, très efficace pour désherber, n'a pas trouvé son remplaçant. "Pas d'interdiction sans solution", répète d'ailleurs sans cesse le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau.

Un débat "mal posé", selon Nicolas Chartier, responsable du pôle données et références du réseau Dephy, qui regroupe 2000 fermes volontaires engagées dans un programme de réduction de l'usage des pesticides depuis dix ans. "Si on pense que ce n'est qu'un problème technique, on n'y arrivera pas, explique-t-il. Car cela revient à penser que ce serait la faute des instituts techniques de recherche ou des agriculteurs, qui ne seraient pas volontaires sur ce sujet. Or, dans le système économique actuel, la mise en place d'alternatives est difficile. Pour se passer de glyphosate, il faut transformer notre modèle agricole."

À l'appui de son argumentation : les dernières données statistiques du réseau Dephy. "Ce sont 2000 fermes réparties sur l'ensemble du territoire national, en bio comme en conventionnel, qui couvrent les principales filières de production française : grandes cultures, polyculture-élevage, viticulture, arboriculture, cultures légumières, horticulture et cultures tropicales, explique Virginie Brun, cheffe de projet Dephy Ecophyto. Les agriculteurs ne sont pas rémunérés, mais bénéficient d'un accompagnement sur ce sujet, via les chambres d'agriculture et d'autres structures de développement comme les réseaux CIVAM et les groupements d'agriculteurs "

Un dispositif mis en place par les pouvoirs publics pour tester, grandeur nature, la réduction du recours aux pesticides. Car la France n'est pas dans les clous des objectifs fixés : la dernière stratégie écophyto prévoyait une baisse de 25% en 2020 ; mais les données indiquent une baisse de 10% seulement entre 2009 et 2020. Et l'objectif de réduire de 50% l'usage des produits phytosanitaires a été repoussé de 2025 à 2030.

25% de baisse pour les pesticides en général, 16% pour le glyphosate

Dans le réseau Dephy, les résultats sont bien meilleurs, puisque les 25% ont déjà été atteints sur la période 2018-2020 versus 2014-2016 ; et ce, dans toutes les filières. En revanche, cette baisse est moins prononcée pour les herbicides. Pour le glyphosate, elle est ainsi de 16%.

"Les herbicides sont le poste qu'on a le plus de mal à réduire, reconnait Nicolas Chartier. D'un point de vue strictement technique, le glyphosate est efficace. D'un point de vue économique, c'est une méthode peu coûteuse. Et c'est très rapide à mettre en œuvre." 

Une reconception assez complète du système est nécessaire pour réduire l’usage des herbicides
Rapport Dephy

En face, les solutions pour se débarrasser des mauvaises herbes sont plus complexes – elles sont d'ailleurs souvent une combinaison de solutions ; et plus chères. Et cela varie avec le type de culture. "C'est par exemple plus compliqué de réduire l'usage des herbicides sur les grandes cultures, comme le colza ou le blé, qui en sont très dépendants, précise Nicolas Chartier. Quand on a 200 hectares de surface, c’est plus délicat, en termes d’organisation du travail, de gérer l’interculture mécaniquement. Par ailleurs, dans le système économique actuel, les agriculteurs peuvent difficilement prendre le risque de se rater sur le désherbage : si vous loupez une année, le développement des mauvaises herbes peut être exponentiel l'année suivante. Il y a donc moins de marge de manœuvre que pour les autres produits phytosanitaires."

Parmi cet arsenal de solutions, se trouvent les produits de biocontrôle, le désherbage mécanique, la mise en place de couverts végétaux, l'allongement des rotations ou des nouvelles cultures intermédiaires. "Une reconception assez complète du système est donc nécessaire pour réduire l’usage des herbicides, ce qui confirme les résultats observés sur la réduction des herbicides", lit-on dans le rapport du réseau Dephy. 

Car par exemple, si un agriculteur plante de nouvelles variétés en cultures intermédiaires, lui permettant de réduire son usage d'herbicide, il faut que les débouchés de ces variétés existent. "Ces rotations de cultures, avec des cultures qui n'étaient pas présentes initialement, permet de casser le rythme de développement de certaines maladies ou mauvaises herbes par exemple et conduit, in fine, à utiliser moins de produits phytosanitaires, explique Nicolas Chartier. Mais le potentiel de ces nouvelles cultures n'est pas toujours valorisé économiquement."

Cela explique aussi la perte de productivité économique de 8% observée dans le réseau Dephy quand l'usage des phytosanitaires diminue : les filières mises en place ne sont pas valorisées. "Aujourd'hui, on a un système économique qui repose sur 4 à 5 espèces dominantes, demain, il en faudrait beaucoup plus", explique Nicolas Chartier. Si on ne comprend pas qu'il s'agit d'une question de modèle économique agricole, on en sera au même point dans dix ans."


Marianne ENAULT

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