À Théüs, sur les coteaux dominant la vallée de la Durance, Laëtitia Allemand sauvegarde le cépage mollard. Elle a officiellement repris la gérance du domaine familial en 2017. Celui-ci avait été installé par ses grands-parents en 1954, une époque où la viticulture n’était presque plus qu’un lointain souvenir dans les Hautes-Alpes. « Il restait encore quelques vignes de mon arrière-grand-père lorsque mon grand-père a décidé de monter son exploitation viticole. Il rentrait du service militaire effectué en Champagne, qui l’a influencé, et il vinifie ses premières productions en méthode traditionnelle champenoise », dévoile celle qui a accompli une carrière de journaliste politique avant de reprendre les rênes du domaine Allemand. Son grand-père remet au goût du jour le mollard, cépage traditionnel de ce secteur « dont il ne reste alors que quelques parcelles ». Son père poursuivra à son tour cet engagement en faveur de ce cépage au débourrement tardif, peu alcooleux et adapté aux conditions montagneuses, en travaillant, en collaboration avec l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), à une sélection massale de clones et la création de vigne-mère.
« Mon père ne se rendait pas compte de l’importance de ce travail pour le maintien de ce cépage autochtone en voie de disparition », souligne Laëtitia Allemand, pour qui la poursuite de ce travail patrimonial a constitué une des motivations de retour au sein de l’exploitation familiale. « Au tournant de la quarantaine, la question de la succession au domaine et le manque de nouvelles perspectives professionnelles ont convergé pour encourager mon retour. J’ai vite pris foi en cette réhabilitation du mollard, qui présentait en outre un intérêt dans le contexte d’évolution climatique », reprend la vigneronne. En phase avec l’action paternelle, Laëtitia Allemand a trouvé dans les environs « une parcelle centenaire sur laquelle nous avons pu marquer 40 pieds de mollard ». En collaboration avec un pépiniériste, elle a décidé de louer cette parcelle pour lancer « une étude sur trois ans pour voir l’évolution des pieds et des vins en micro-vinification ». À terme, l’ancienne journaliste souhaite trouver des financements pour aboutir à la création d’un conservatoire du mollard, « pour mettre parfaitement en lumière les vertus de ce cépage presque oublié ».
David Clerdan s’arrache pour sortir les viticulteurs de la crise. Devenu expert en machinisme après 18 ans passés dans différentes propriétés bordelaises, il marche depuis 2019 sur les pas de Loïc Pasdois à la Chambre d’Agriculture de Gironde. Le conseiller multiplie les démonstrations de matériel en s’évertuant à proposer des solutions au manque de main d’œuvre ou à l’envolée des coûts de production.
« L’attente est là. Qu’importe la météo, les gens sont au rendez-vous. Ils prennent plaisir à retrouver leurs voisins et à discuter avec les constructeurs et distributeurs. Les démos leur permettent de s’évader et de sortir quelques heures de la morosité ».
Sur le salon Vinitech, David Clerdan a fait le tour des stands pour trouver des intervenants sur du matériel de lutte antigel en février. Rattaché à l’antenne de Créon, le conseiller interviendra tout au long de l’année dans l’Entre-deux-Mers, sa terre de cœur. Aidé par ses coéquipiers Adel Bakache et Pierre Dufort, dont il apprécie la créativité, il continuera également à « redynamiser » le Médoc. « Nous avons lancé la vague cette année avec une journée sur l’entretien mécanique du cavaillon ».
Son dynamisme porte ses fruits. « La journée sur la taille rase à Mauriac en mars dernier a rencontré un succès fou. J’ai reçu plein d’appels et certains viticulteurs y passent dès cette saison » se réjouit David Clerdan. Jamais à court d’idées, son agenda 2023 est déjà presque complet. Les nouveautés ? Du travail du sol à l’intercep en contre-pente avec un dévers important en avril, et du matériel de fertilisation à l’automne.
Il a commencé sa carrière chez Scamark, où il était chargé de projet packaging pour les produits alimentaires Leclerc, avant de rejoindre Biocoop début 2020, « une entreprise plus proche de mes valeurs personnelles sur le plan écologique, et qui me proposait un terrain de jeux bien plus vaste, avec plus de liberté et de créativité ». Responsable R&D Emballages de l’enseigne coopérative, Nicolas Dauvé est le chef de file de la stratégie de développement du "zéro déchet" de Biocoop, avec l’objectif de réaliser 50 % du chiffre d’affaires sur des produits en emballages rechargeables ou réemployables d’ici 2025.
Un objectif qui au rayon vins ne se traduira pas par de la vente de vins en vrac via des distributeurs à robinets, mais par la généralisation de bouteilles en verre aptes au réemploi. « Nous avons déjà 40 références de vins dans ce type de bouteilles dans notre assortiment, soit plus de 10% en chiffre d’affaires cette année. Nous travaillons étroitement avec les filières de collecte et de lavage de bouteilles réutilisables qui existent désormais en France ». Mais pour Nicolas Dauvé, il est illusoire à l’heure actuelle d’espérer mettre en place rapidement une offre de vins à 100 % en bouteilles aptes au réemploi : « Il s’agit d’un pari à moyen terme. Nous nous heurtons à un plafond de verre, indique-t-il dans un sourire. Les tensions sur l’approvisionnement en verre concernent aussi le marché du réemploi, avec une pénurie de certains modèles de bouteilles ». .
Mais les difficultés d’approvisionnement en bouteilles classiques et surtout la flambée des prix rendent aussi le réemploi plus attractif, car plus compétitif. « Nous avons de plus en plus de demandes. La première raison qui motive la plupart des vignerons est la réduction de leur impact environnemental. Mais d’autres se tournent vers le réemploi en alternative aux bouteilles neuves », constate Nicolas Dauvé. A l’avenir, le fait d’être engagé dans une démarche de réemploi de bouteilles pourrait être une obligation pour être référencé par Biocoop.
Le responsable R&D est optimiste sur la mobilisation de la filière vin en faveur des bouteilles réutilisables. Et il l’est aussi quant à l’implication des clients de Biocoop. « Actuellement le taux de retour moyen des bouteilles est de 40 % au niveau national, dans nos 248 magasins points de collecte (sur un total de 762), avec ou sans consigne monétaire. Il faut que la démarche de réemploi soit connue, visible dans nos magasins, et comprise par nos clients. On vise un taux de retour de 90% en 2023 ». Pour Nicolas Dauvé, les premiers leviers sont la communication et la formation des équipes : « Un travail de fond afin que le fait de rapporter ses bouteilles de vins vides au magasin devienne un geste du quotidien pour le consommateur ».
Rien ne lui fait peur. Créer une société de conseil, partir plusieurs mois en voilier ou encore inventer une protection physique de la vigne, le fameux Viti-tunnel : Patrick Delmarre a le goût du challenge et du risque « assez involontaire, dit-il. Je suis un grand optimiste et me lance dans les projets sans trop réfléchir ou anticiper… » Qualité ou défaut, à juger de son parcours, malgré quelques couacs, sa folie lui réussit bien.
Plongeon dans l’agronomie. Après une jeunesse passée sous les latitudes de l’Afrique de l’Ouest et du Nord, Patrick Delmarre se jette à l’eau avec l’école d’agronomie de Montpellier en 1988, où il se spécialise en viticulture. Après trois ans de statistiques à l’Union nationale des coopératives d’approvisionnement, il rejoint les entreprises Touzan pour développer la clientèle et racheter l’entreprise. Le voilà déjà patron en l’an 2000 ! « J’intègre notamment au conseil les compétences acquises à l’école sur la lutte raisonnée, détaille-t-il. Comme l’inoculation de Phytoseiulus persimilis pour lutter contre l’araignée rouge. La société cartonne et avec mon associé nous la vendons à Isidore en 2004 «. Débute un « break » d’aventure familiale en voilier sur les océans. Inspiré de son voyage, celui qui doute encore d’être hyperactif a cette idée : empêcher l’eau de tomber sur les vignes pour faire chuter l’inoculation de maladies dans les parcelles. De 2011 à 2013, le projet murit dans son cerveau. Il retourne au conseil dans l’entreprise Touzan, mais son idée « gêne ». Le déclencheur pour se lancer viendra d’ailleurs. « Les injonctions sociales et l’accélération dans les restrictions réglementaires m’ont fait basculer dans la concrétisation. Un ami m’a aidé à formaliser l’idée du Viti-tunnel en 3D. Puis j’ai obtenu un financement très conséquent à Paris, dans les 200 000 €, pour réaliser la preuve de concept. Deux fois reportée, elle voit le jour en 2019 ». Grâce au soutien de FranceAgriMer, d’une part, et à la rencontre avec le serriste des entreprises Bar d’autre part. Enfin !
Et maintenant, que va-t-il advenir de Viti-tunnel ? Celui qui est né en 1968 veut croire en sa révolution. « La preuve de concept est faite. On se donne maintenant deux ans pour transformer l’essai en pré-série et vendre une plus grande surface. Le "coming-out" commercial serait pour le prochain salon Vinitech [en 2024] avec de premières unités de série pour 2025 ». En attendant, ce Vinitech 2022 a été l’occasion de rapprochement avec trois investisseurs. Patrick Delmarre est aussi accompagné par l’incubateur Unitec ainsi que la pépinière de Bernard Magrez. « Pour changer d’échelle je vais m’entourer de compétence et recruter 5 à 6 personnes ». Le début d’un marathon d’un nouveau genre pour un habitué de ces courses sur 42,2 km. Car Patrick Delmarre a aussi replongé dans le conseil agronomique. Il a créé pour cela la société Proviter avec un associé en 2021.
Avec « un projet comme Viti-tunnel il faut avoir un goût pour le "déglingo" confie Patrick Delmarre. Comme partir longtemps en bateau. Si j’avais trop réfléchi aux galères potentielles, je ne serais pas parti. J’aime me lancer dans mes envies et je résous les problèmes au fur et à mesure. C’est comme ça que j’avance ».
Les mots et les explications fusent. On sent François Delmotte passionné par son sujet. Ce chercheur de l’Inrae de Bordeaux est le coordinateur de la chaire Alexis Millardet créée l’an dernier pour aborder la lutte contre le mildiou sous un tout nouvel angle et avec l’aide de trois prestigieux châteaux du Bordelais.
« Il faut faire évoluer notre vision de l’épidémie de mildiou, dit-il. Contre toute attente, elle est peu clonale ; en fait, elle passe essentiellement par le sexe ». Traduisez : la multiplication du parasite par les zoospores, les fructifications du rot gris, n’est rien comparé à celle par les oospores, les œufs d’hiver qui se forment dans le mildiou mosaïque. C’est à ces derniers que François Delmotte compte s’attaquer avec Laurent Delière, de l’Inrae également, et Marc Raynal, de l’IFV, qu’il tient à citer comme ses alter ego au sein de la chaire.
Les œufs d’hiver se forment au sein des feuilles par la rencontre des deux types sexuels -1 et 2- du mildiou. Par ses travaux, François Delmotte a déjà éclairci les échanges d’hormones qui président à cette rencontre. Maintenant, il s’agit de trouver comment l’empêcher. L’enjeu est essentiel selon lui « Même une année comme celle-ci avec peu de pression de mildiou, il y a du mildiou mosaïque partout ; les contaminations sont massives, assure-t-il après s’être baladé dans les vignes cet automne. Or, cela forme l’inoculum pour l’année suivante, y compris pour les attaques tard en saison. »
Alors que pour tout le monde l’épidémie de mildiou commence au printemps, pour François Delmotte, l’essentiel se passe à l’automne. Avec la réduction -irrémédiable, semble-t-il- du nombre de fongicides autorisés, « il faut reprendre un coup d’avance sur le mildiou », assure François Delmotte. En brisant sa reproduction sexuée.
A l’heure où la crise s’accentue dans le vignoble bordelais, le consultant Stéphane Derenoncourt met sa notoriété au service des autres pour valoriser l’appellation Castillon Côtes-de-Bordeaux en lançant le club "Castillon Caractère". Et l’homme n’en est pas à son premier coup d’essai : « Nous avons déjà initié la démarche il y a quelques années avec le Palmarès de Castillon pour mettre en lumière les plus belles réussites de l’appellation. "Castillon Caractère" se positionne comme le bras armé du syndicat pour faire connaître et reconnaître l’appellation ».
Implanté sur l’appellation depuis 1999 avec le domaine de l’A, les atouts et le potentiel de l’appellation ne sont plus à démontrer pour Stéphane Derenoncourt : « Nous sommes voisins de Saint-Émilion, le terroir est reconnu autant que notre engagement écologique : ici, la biodiversité a été préservée ! » Et les candidatures ne sont pas en reste pour rejoindre les 17 propriétés viticoles puisque quatre nouveaux dossiers sont déjà à l’étude. « L’idée : en finir avec le Bordeaux bashing et montrer qu’au sein d’une appellation peu connue, il existe de nombreux vins de qualité, accessibles et bien faits, qui n’ont rien à voir avec l’image du Bordeaux vieillot ! »
Nul doute que la notoriété de Stéphane Derenoncourt et son franc-parler participent à la renommée de l’appellation pour celui qui a notamment collaboré avec un grand nombre de crus classés à Bordeaux. Arrivé en 1982, d’ouvrier agricole à maître de chai puis responsable de production, nombreux sont ceux qui lui ont fait confiance : châteaux La Grave et La Fleur Cailleau, puis Pavie Macquin, Canon La Gaffelière… En 1999, année de naissance du domaine de l’A, il fonde avec audace Derenoncourt Consultants qui dénombre aujourd’hui 20 collaborateurs, 150 clients dans 17 pays, … et toujours de nombreux projets en tête pour ce consultant dont la renommée n’est plus à faire !
S’il existait un bureau pour réunir toutes les revendications économiques et politiques de la filière vin, on y verrait des dossiers urgents s’empiler toujours plus vite sur des classeurs restant ouverts faute d’être conclus. Président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, Jérôme Despey est aux premières loges des mobilisations incessantes pour aider le vignoble et ses metteurs en marché à faire face aux défis actuels. Il partage aussi la frustration de voir des demandes péricliter, comme les aides aux trésoreries tendues depuis la crise covid (avec un report souhaité des remboursements des Prêts Garantis par l’Etat, PGE) ou la résolution définitive du conflit aéronautique transatlantique (seul un moratoire suspend les taxes Trump sur les vins et spiritueux français).
D’autres dossiers avancent sans arriver à leur terme. En 2022, Jérôme Despey s’est mobilisé pour finaliser les aides suivant le gel 2021 (notamment les rachats de franchise, la prise en charge de cotisations sociales…), pour boucler la réforme assurance récolte (avec l’application d’omnibus et un seuil d’activation de 50 % de dégâts pour la filière vin, mais une réforme de la moyenne olympique à mener), pour suivre la réforme de la certification Haute Valeur Environnementale (HVE, qui a viré au revers face au manque de concertation du ministère de l’Agriculture*), tout en participant aux réflexions de la filière pour gérer les déséquilibres structurels et conjoncturels entre offre et demande exacerbés depuis l’invasion russe de l’Ukraine (avec des besoins de distillation de crise, aide au stockage privé, arrachage primé…).
Cet échantillon de mobilisations en témoigne : depuis 2019, la filière vin fait face à une succession d’aléas qui semble pour le moins inédit. Ne se résignant pas, Jérôme Despey affirme sa détermination à défendre les intérêts de la filière grâce à son ancrage dans le vignoble : à la fois sur son exploitation et sur le terrain qu’il parcourt depuis des décennies. Implanté à Saint-Geniès-des-Mourgues avec 10 hectares de céréales (blé dur) et 25 ha de vignes (70 % en IGP Pays d’Oc, 20 % AOC Coteaux du Languedoc et 10 % IGP département), le viticulteur héraultais reprend l’exploitation familiale en 1987, à 18 ans après une formation accélérée en viticulture pour que le domaine de ses grands-parents ne soit pas abandonné. Ses premiers pas dans le syndicalisme arrivent avec les Jeunes Agriculteurs de Castries, qui le soutiennent et l’aident à gérer son installation. « Ce que j’ai reçu, je veux le rendre » relate Jérôme Despey, qui prend d’abord la présidence des Jeunes Agriculteurs de l’Hérault, avant de devenir président national de l’organisation de 2002 à 2004.
Une fonction qu’il quitte pour s’impliquer dans le local, ayant fait la promesse à sa famille d’être plus présent. S’il prend la présidence de la cave coopérative de Saint-Geniès-des-Mourgues (qui fusionne avec la cave de Montpellier), il est détourné de sa bonne résolution locale par Jean-Michel Lemétayer, le président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricole (FNSEA), qui lui demande d’être candidat au conseil d’administration du premier syndicat agricole en 2005. L’enjeu étant de créer du lien avec la filière viticole, dont les relations ne sont pas particulièrement fluides avec la FNSEA. « On ne peut pas dire qu’il y avait un amour fou entre la FNSEA et les organisations viticoles à l’époque » pointe Jérôme Despey.
Déjà membre de l’Office National Interprofessionnel des Vins (Onivins), Jérôme Despey prend, au départ de Denis Verdier, la présidence de Viniflhor (fusion de l’Onivins et de son équivalent pour l’horticulture en 2006), avant de présider le conseil spécialisé vin du nouvellement créé établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer, créé en 2009). Avec un engagement répété par Jérôme Despey : « ne pas faire à la place de, mais avec. La FNSEA ne veut pas remplacer les syndicats viticoles et organisations de métier, mais être dans la complémentarité. » Prenant des fonctions croissantes dans la FNSEA (devenant secrétaire général adjoint sous la présidence de Xavier Beulin puis secrétaire général sous la présidence de Christiane Lambert), il quitte la tête de sa cave coopérative pour prendre la présidence de la Chambre d’Agriculture de l’Hérault en 2013 (suite au départ de Jacques Gravegeal).
Ce dernier mandat lui permet de garder un lien au territoire avec de nombreuses réunions et rencontres de terrain, tout en restant accessible aux sollicitations vigneronnes (tombant souvent les week-ends, ce qui ne ravit pas sa famille). Certains le surnomment ainsi le président de l’Hérault, mais pour lui, c’est surtout sur le terrain « que j’entends parler de HVE, de gestion des aléas, de durabilité, de prix… » glisse-t-il, notant que cela lui permet de « relayer les informations devant les ministères, en s’appuyant sur ce que vivent les agriculteurs et viticulteurs ». Soulignant remplir les missions qui lui sont confiées, Jérôme Despey reconnaît qu’il est peu sur son exploitation, ayant l’assistance d’un salarié de confiance pour le travail quotidien. Plus présent pour les vendanges et urgences, il note que s’il perdait ses mandats il retournerait sur son exploitation : « quand vous êtes élu, du jour au lendemain vous pouvez être amené à revenir à 100 % sur votre exploitation, la mienne le permet » indique-t-il.
Se préparant aux défis de 2023, le président du conseil spécialisé vin a pour cap de mieux structurer la filière afin de mieux encaisser les difficultés. Le sujet capital pour lui est de segmenter filière pour en réduire la volatilité, tout en soutenant l’innovation, l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.
* : Lors du vote consultatif du 30 juin 2022 sur le référentiel HVE en Commission Nationale de la Certification Environnementale (CNCE), l’abstention de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) est expliquée par Jérôme Despey par le souhait de ne pas voter contre (aux côtés d’associations environnementales opposés à la HVE), sans voter pour un référentiel ne lui convenant pas (une abstention partagée par les Jeunes Agriculteurs et les Chambres d’Agriculture).
Enthousiaste conseillère en Chambre d’Agriculture d’Ardèche, Amandine Fauriat mobilise et crée une dynamique de terrain rare. Responsable viti-œno sur le secteur de Saint-Joseph, Cornas et Saint-Péray, l’animatrice œuvre en local, comme en régional, voire en national. Les changements d’échelle ne lui font pas peur, des expérimentations sur l’usage des drones pour la protection des vignes en fortes pentes jusqu’aux démonstrations des salons Tech&Bio, en passant par l’animation de groupe fermes Dephy. Et les viticulteurs répondent toujours présents. À l’aise avec les médias, Amandine Fauriat communique facilement et sait vulgariser. Les journaux le lui rendent bien. Elle maîtrise l’espace et le temps.
Pourtant, la native du pays n’était pas destinée à la vigne. Visant d’abord des études en kiné puis biologie, c’est au cours d’un stage en 2ème année de DUT sur les stratégies de lutte contre l’oïdium que s’opère un virage. « Je me suis rendu compte que les paillasses de labo n’étaient pas pour moi. Ce stage m’a plu et j’ai passé le concours de l’école d’agronomie de Montpellier ». Diplômes d’ingénieur agronome et d’œnologue en poche, elle part faire des vinifications en Nouvelle-Zélande en 2007. Puis se lance dans le conseil œnologique avec le vigneron rhodanien Jean-Luc Colombo. S’en suit un remplacement en Chambre d’Agriculture de la Loire, « l’une des plus belles expériences que j’ai vécues confie-t-elle. D’une part, parce que je me suis vraiment sentie très utile. Ensuite parce que la solidarité vigneronne là-bas est incroyable ». Cette qualité professionnelle et humaine, Amandine Fauriat la retrouve depuis 2010 sur son secteur de la Chambre d’Agriculture d’Ardèche. « Il y a une grosse dynamique car les vignerons se posent beaucoup de questions. Surtout depuis cinq ans, il y a beaucoup d’inquiétude sur l’avenir. Alors beaucoup expérimentent, au travers du groupe Dephy et bien au-delà. J’ai de la chance d’avoir autant de viticulteurs qui adhèrent aux actions enclenchées ».
A bientôt 40 ans, Amandine Fauriat continue de se passionner pour les enjeux du moment. Jamais à court d’idées, elle se lance dans de nouveaux défis. « En 2023, on va faire une soirée citoyenne. Ça consiste en une projection de film sur la relation entre riverains et viticulteurs, avec un débat ensuite ». Sur un volet plus technique, « J’organiserai aussi une journée sur la pulvérisation. A signaler aussi le projet d’expérimentations sur l’adaptation au changement climatique que l’on a déposé vient d’être retenu ». Des actions qui s’ajoutent à un programme déjà chargé : observer le vignoble, écrire et envoyer le bulletin d’avertissement sanitaire, animer le groupe Dephy d’une douzaine de viticulteurs, être la référente technique régionale en viticulture bio, etc. « Il y a du travail pour bien plus que moi », avoue la « Wonder Woman » de l’Ardèche viticole.
Il n’y a pas que les gestes de la taille qui expliquent les maladies du bois pose Massimo Giudici, le gérant de l’activité française de l’agence de formation Simonit & Sirch (créée en 2010, avec les demandes d’intervention du professeur Denis Dubourdieu pour ses domaines bordelais). Spécialisé sur la taille douce des vignes, l’organisme technique élargit son conseil en appelant les vignerons à vérifier la qualité des plants (en testant le point de greffe du matériel végétal par exemple), à affiner leurs plantations (en prenant notamment garde à l’implantation racinaire) et à l’entretien du sol (avec des outils abîmant parfois les ceps). « Nous sommes partis de la taille en sachant que ce n’était pas le sujet principal » résume le technicien, appelant les vignerons à prendre une vision d’ensemble de leurs gestes techniques pour améliorer la pérennité de leurs parcelles. « Ce qui n’est pas facile à amener quand on est Italien face à des vignerons en place depuis des décennies » reconnaît le maître-tailleur.
Si un tailleur a des mains, il a surtout des yeux estime Massimo Giudici : des yeux pour analyser la structure d’un pied de vigne, mais aussi pour regarder ce qui se fait dans le monde entier afin de retrouver les bons gestes et pratiques de taille. « On n’a rien inventé » répète le maître-tailleur italien, qui a rejoint l’organisme de formation technique en 2007 dans le Frioul et a enchaîné depuis 36 saisons de taille (en taillant en hémisphères Nord et Sud). Ce qui lui donne une vision transversale des modes de conduite, de l’Argentine à l’Espagne, en passant par le Portugal et la Suisse (où il a appris un français impeccable en 2008).
Confiant dans la capacité d’adaptation du vignoble face au changement climatique, Massimo Giudici estime que des leviers puissants existent dans la conduite (notamment la gestion de la canopée l’été) avant de changer les cépages (et leurs ancrages au terroir).
Pour Laurent Habrard « la vie est faite de rêves ». Depuis quelques mois, ce vigneron de Gervans, dans la Drôme, est hanté par le rêve de voir disparaître le pion fiscal. Non content de rêver de la fin de cette « aberration » française, il s’emploie à la faire advenir. Fin octobre, il lance une pétition pour demander aux douanes « d’abandonner leur Marianne dépassée ». En fait, derrière la Marianne, c’est la capsule de surbouchage qu’il vise.
En juillet dernier, pour des raisons écologiques, il décide de ne plus habiller ses bouteilles avec ces capsules. Le service local des douanes lui assure que les capsules fiscales peuvent être remplacées par un ticket de caisse pour les particuliers et par un document d’accompagnement pour les professionnels. Mais durant les vendanges, l’affaire qui paraissait simple prend une tout autre tourne. « Comment allez-vous faire avec vos agents ? » lui demandent des douaniers qui passent chez lui. Car ces agents lui rappellent que les revendeurs doivent établir un document d’accompagnement pour chacune de leurs livraisons. Laurent Habrard verra très vite que c’est hors de question pour eux. Pour supprimer définitivement la capsule, il faut supprimer la Marianne.
En attendant, il colle les pions à la main sur chacune de ses bouteilles. Des pions achetés 4 centimes l’unité. Ce qui lui donne « à chaque fois de l’énergie supplémentaire » pour mener son combat.
Laurent Habrard, qui vend tout en bouteilles, propose de payer les droits d’accise en une fois, après la déclaration de récolte. Et « ce n’est pas parce qu’on abandonnera la Marianne que ce sera l’anarchie, assure-t-il. Tous les mois on fait une DRM, détaillant toutes nos sorties ». De quoi contrôler la circulation des vins. D’après ses informations, le sujet devrait revenir sur le tapis en début d’année 2023. En attendant, il fait le tour des élus locaux pour les convaincre de porter plus haut son combat.
La Chambre d’Agriculture de l’Hérault aurait difficilement pu trouver meilleur profil pour mettre en œuvre son dispositif d’alertes SMS au gel et aux coups de chaud AgriPredict. En mars et avril derniers, tout récemment débarqué d’Itk pour prendre la tête du service viticulture, Paul Hublart a supervisé l’envoi de plus de 30 000 messages aux exploitants concernés par des gelées.
Les conseils rédigés par ses 18 techniciens préconisant par exemple de ne pas travailler le sol, de ne pas tondre et de vérifier le bon fonctionnement de leur matériel de protection leur ont permis d’éviter la catastrophe. 5 104 exploitants ont ensuite été avertis par mail et SMS lors de la canicule du 17 juin. L’initiative a fait des émules, la Chambre d’Agriculture de Gironde ayant décidé de proposer AgriPredict aux vignerons bordelais.
Paul Hublart et son équipe vont pousser plus loin leur travail de prévention en testant différentes pratiques culturales sur un réseau de parcelles d’essais. « Nous sommes également en train de tester dans plusieurs exploitations un diagnostic technico-économique de vulnérabilité au changement climatique » dévoile le chef de service.
Conscient des nouveaux défis sociétaux et environnementaux auxquels sont confrontés les producteurs, il souhaite par ailleurs renforcer l’accompagnement à la sortie des herbicides, à la mise en place de couverts végétaux ou à la certification dans le cadre du projet agricole départemental Hérault 2030.
Comme il mise sur l’émulation collective à la Chambre, Paul Hublart joue aussi la carte de la collaboration à l’extérieur en multipliant les partenariats avec les instituts techniques, les syndicats, interprofessions, collectivités, ou clusters d’activité.
Le développement durable n’est pas un objectif statique, c’est un projet global et mouvant pour Jessica Julmy, la directrice générale des activités rosés de Moët Hennessy en Provence. Travaillant depuis les premiers investissements de LVMH en 2019 dans le Var à la création d’une gamme durable de rosés, Jessica Julmy a présenté une première proposition avec les cuvées du château Galoupet au printemps 2022. Un point d’étape qui a marqué les esprits avec le lancement d’une gamme "Nomad" dont la bouteille est plate et en plastique recyclé (collecté sur les plages). Une proposition « loin d’être parfaite, nous testons et apprenons » indique Jessica Julmy, qui veut améliorer le storytelling de cet écoconception sur sa contre-étiquette, opter pour un bouchon qui ne soit pas blanc pour éviter un aspect de shampooing…
Alors que les Analyses de Cycle de Vie (ACV) et autres bilans de l’empreinte carbone ouvrent le champ des possibles pour rendre plus durables les formes, poids et matières des bouteilles de vin, la directrice de Moët Hennessy en Provence souligne l’importance d’inscrire le développement durable dans la co-construction. D’autant plus que la mise en place de politique de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) demande du temps et une amélioration continue pour toucher à tous les leviers de la production de vin. « Trois ans, ce n’est rien, mon plan de développement est à vingt ans » annonce celle qui a encore le cœur chez les champagnes Krug (« dans les veines » après 6 ans aux côtés de Maggie Henriquez), mais toute sa tête dans ses projets provençaux : essais de nouveaux cépages, optimisation de l’irrigation, préservation du massif forestier, accueil pédagogique du grand public, construction de nouveaux chais de vinification, réduction des consommations d’énergie, essai de propolis pour traiter les vignes…
Une ligne directrice claire pour celui qui est à la tête du groupe Larraqué Vins International (LVI). « La pérennité de l’exploitation est la base de ma réflexion « indique Pierre Jean Larraqué lorsqu’il s’agit d’évoquer les leviers sur lesquels il s’appuie pour construire un succès commercial qui ne se dément pas depuis presque 20 ans. Natif du Médoc, il explique que son « père a géré la cave coopérative fondée par mon grand-père », mais lui s’est d’abord orienté vers le commerce et le marketing. Il revient néanmoins vers le milieu viticole en 1990, dans le but de restructurer le groupe qu’il dirige à présent. « Cette restructuration était destinée à mieux vendre ce groupe, et c’est moi qui l’ai racheté en 2013 après que le chiffre d’affaires soit passé de 22 millions € (M€) pour 42 salariés en 2006 à 76 M€ pour 170 personnes en 2022 «, résume-t-il. Au programme de la restructuration, la « construction de marques fortes, et surtout la qualité et les moyens de communication qui vont avec », reprend l’entrepreneur, qui a officialisé en juillet 2022 le rachat de l’historique maison Cheval Quancard où il va implanter son siège social.
Marque, qualité, communication, tel est le triptyque autour duquel Pierre Jean Larraqué appuie sa stratégie d’entreprise. Désireux de rester « humble et ne pas se poser en donneur de leçon » alors que la situation du vignoble bordelais « est compliquée », il regrette qu’il n’y ait pas assez de marques fortes pour soutenir ce vignoble. « Certes, il n’y a pas de marque solide sans moyens de communication massifs (qui doivent obligatoirement aller avec), ainsi qu’un niveau qualitatif irréprochable, mais les marques que nous avons construites en AOC Bordeaux ou en IGP nous permettent aujourd’hui de travailler avec des contrats de filière de 3 à 5 ans pour 1 900 hectares de vignes et 800 vignerons », soutient-il.
Aux côtés du bag-in-box, qu’il considère comme un moyen d’adaptation efficace « aux attentes du marché et aux conséquences de l’inflation », Pierre Jean Larraqué défend également la transition du vignoble bordelais vers les IGP, « qui offrent une rémunération cohérente au vigneron, et qui, associées à un nom de cépage, sont un vecteur de réussite sur le marché international ». Pour ne pas laisser en reste les noms de propriétés, l’entrepreneur défend le concept de l’Alliance des Récoltants, qu’il a lancé en 2020, « et qui permet de mutualiser les moyens pour chasser en meute sur les marchés, comme le montre la progression de 27 % enregistrée cette année pour cette alliance «.
En mars 2022, alors que la guerre en Ukraine vient d’éclater, le vigneron champenois Pierre Laurent se mobilise spontanément en organisant un convoi à destination de l’Ouest de la Pologne où se trouvent des réfugiés ukrainiens ayant rejoint la ville de Grybów (à 200 kilomètres de la frontière ukrainienne, à 300 km de Lviv). Une opération solidaire qui a permis de distribuer 1 300 kilos de biens de première nécessité grâce aux deux camionnettes chargées par Pierre Laurent. À la tête du convoi, parti le 13 mars à 5 heures du matin de Champagne, le vigneron atteindra la Pologne dans la nuit.
Un geste spontané, nécessaire traduisant l’urgence d’une sombre facette de notre histoire contemporaine, avec un message adressé à toute la filière : « Il faut montrer que l’on est tous mobilisés pour préserver l’Ukraine «.
Tout feu tout flamme, Pierre Laurent, qui a repris l’exploitation familiale en 2007 à Saulchery (dans la Vallée de la Marne) ne manque pas de suite dans les idées. Passionné et toujours plein d’entrain, il a fait de ce domaine de 4,5 hectares un véritable laboratoire d’où naissent des idées et des cuvées surprenantes comme cette bouteille tapissée d’un bleu ciel à boire « on the rocks « (sur un lit de glaçons) ou encore ce flacon à l’effigie de « Marie-Antoinette « d’un rose soutenu (cette cuvée a rejoint en 2015 les boutiques du château de Versailles grâce à un partenariat noué avec les Musées de France).
Féru d’histoire, donc, Pierre Laurent continue d’user dans son domaine de méthodes ancestrales en travaillant son vignoble grâce au cheval. « Créateur de bien-être «, il travaille ses sols avec rigueur et soin et a obtenu les certifications Haute Valeur Environnementale (HVE) et Viticulture Durable en Champagne (VDC), une façon aussi de se tourner vers l’avenir.
Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir s’installer sur un domaine familial, ni de bénéficier de l’expérience d’un parent vigneron. Pour ces néo-vignerons dont la route est parsemée d’obstacles, Thibault Liger-Belair a eu l’idée originale de créer le domaine des Jeunes Pousses.
Ce vigneron propriétaire de 9 hectares à Nuit Saint Georges et 13 ha à Moulin à Vent a l’habitude de voir défiler des stagiaires. « Je reçois des jeunes animés d’une réelle passion, comme moi à leur âge. Moi qui ai eu de la chance, je voulais leur donner la leur », résume-t-il. Ayant acquis en 2015 des vignes en Beaujolais Villages et AOC Chénas, il eut une idée : « créer un domaine à part pour le prêter à de jeunes vignerons ». Accueillis au domaine des Jeunes Pousses pendant trois ans avec un statut de co-gérant, les néo-vignerons ont gratuitement à disposition 5 ha de vignes, une maison, un cuvage et tout le matériel de culture et de vinification. Ils n’apportent que leur travail. Thibault Liger-Belair est présent pour les conseiller - surtout pour le premier millésime, tout en leur laissant la plus grande liberté dans les choix techniques. Les jeunes vignerons se créent ainsi leur propre identité et un réseau professionnel qui les suit lorsqu’ils s’installent. L’ambition n’est pas d’en faire une machine à cash, mais l’objectif est bien d’être rentable – durant leur mandat de trois ans, les néo-vignerons se forment autant à la comptabilité-gestion et à l’administratif qu’à la technique.
Premiers à bénéficier de cet immense coup de pouce, Angela et Hugo ont quitté les Jeunes Pousses au mois d’août pour s’installer sur leur domaine à Juliénas et Chénas. « Ils volent maintenant de leurs propres ailes, se réjouit Thibault Liger-Belair. Et le domaine des Jeunes Pousses continue son bonhomme de chemin avec Thaïs, qui a pris le relais pour trois ans et sera rejointe par une apprentie. » Son initiative semble faire des émules : des vignerons animés de la même volonté de transmettre l’appellent pour avoir des détails sur le dispositif.
Cette année, il a vu aboutir un dossier sur lequel il travaille depuis 2011 : l’utilisation des eaux usées de stations d’épuration pour l’irrigation de la vigne. Hernan Ojeda est le coordinateur scientifique viticole du projet Irri-Alt’eau. « En 2011, la mairie de Gruissan est venue nous voir pour savoir s’il est possible d’irriguer la vigne avec les eaux de sa station d’épuration. Nous avons mis trois ans à concevoir le projet, avant de lancer des expérimentations à petite échelle », se souvient cet ingénieur de recherche à l’Inra de Pech Rouge, qui sait s’armer de patience.
Rapidement, il s’aperçoit que les eaux de la station de Gruissan sont trop salines pour la vigne. Son projet se poursuit avec la commune voisine de Narbonne Plage, plus petite, mais dont les eaux usées s’avèrent convenir parfaitement. En 2020, l’autorisation est donnée pour développer le premier réseau d’irrigation à grande échelle, desservant 80 ha. La première tranche est entrée en service cette année. La seconde est prévue pour l’an prochain.
« Nous créons une nouvelle ressource en eau. Nous irriguons des vignes de manière efficiente sans entrer en concurrence avec d’autres besoins pour l’eau. C’est un exemple d’économie circulaire », commente Hernan Ojeda. Un exemple qui fait école puisque Murviel-lès-Montpellier, Leucate, Sigean et Sète suivent les traces de Narbonne Plage.
Ses travaux ont aussi amené Hernan Ojeda à découvrir que les eaux usées sont très diverses. Ainsi celle de Narbonne plage est bien plus riche en azote que celle de Roquefort-des-Corbières au point qu’il faut en tenir compte dans la fertilisation de la vigne.
Après avoir consacré l’essentiel de sa carrière à l’irrigation, Hernan Ojeda se penche sur son absence : il étudie l’adaptation à la sécheresse des variétés résistantes aux maladies.
Pas de doute. Pour Nathalie Ollat, le matériel végétal est un levier important qu’il faut mobiliser pour s’adapter au réchauffement climatique sur le long terme. Ingénieure agronome de formation, la physiologiste démarre sa carrière en 1988 à l’Inra de Bordeaux (devenu Inrae). Très vite, elle choisit de redynamiser les recherches sur les porte-greffes qui ont été délaissées. « Pour mieux comprendre leur rôle dans le fonctionnement de la vigne, étudier la vigueur conférée et ses déterminants et créer de nouveaux porte-greffes…». Elle poursuit ainsi les travaux d’Alain Bouquet dans le but de sélectionner de nouveaux porte-greffes résistants aux nématodes vecteurs du court-noué. Elle s’attaque également à la recherche de porte-greffes adaptés à la chlorose et à la contrainte hydrique. Petit à petit, elle renforce les équipes de chercheurs sur ces questions.
Puis en 2011, avec son collègue Jean-Marc Touzard, elle prend la responsabilité du grand programme de recherche Laccave sur le changement climatique, ses conséquences pour la viticulture et les pistes pour s’y adapter. Après dix ans de recherches, ce programme pluridisciplinaire a confirmé que le changement climatique était bien là et que s’y adapter était un enjeu majeur pour la filière. Le millésime 2022 l’a bien montré. Et, les travaux se poursuivent, notamment au sein du laboratoire d’écophysiologie et d’écologie fonctionnelle de la vigne que Nathalie Ollat dirige depuis 2018. Cette unité de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV) rassemble aujourd’hui 47 chercheurs permanents de l’Inrae, de Bordeaux Sciences Agro et de l’Université de Bordeaux et plus d’une vingtaine de non permanents. Tous mobilisés pour étudier le fonctionnement de la vigne greffée, les déterminants de la qualité des baies dans le contexte du changement climatique et des pratiques agronomiques…
Publiée le samedi 28 janvier 2022 sur Instagram, la vidéo de Mathilde Savoye a marqué les esprits. Rendant public son besoin d’assistance pour finir la taille du vignoble familial alors qu’elle n’arrivait à embaucher de remplacement au neuvième mois de sa grossesse, la vigneronne a mis le sujet de l’emploi viticole au cœur de l’actualité. Exploitant depuis 2019 ses 3,5 hectares de vignes avec une salariée sur la commune de La Neuville-aux-Larris (Marne), Mathilde Savoye s’est retrouvée seule début 2022, faute de réussir à trouver un nouvel salarié ou un candidat du service du remplacement.
Sa vidéo lui aura permis d’attirer l’attention sur son cas, résolu pendant son congé de grossesse par un remplacement, puis par à l’embauche d’un employé à la tâche. Ayant toujours cherché l’autonomie (s’installant en 2017 sur des parcelles à part de celles de son père pour gérer ses couverts végétaux), la vigneronne comprend que les employés cherchent de la liberté, d’autant plus que les tensions sur la main d’œuvre poussent les employeurs à devenir plus flexibles (alors que les besoins en travaux manuels sont conséquents en Champagne). Si on lui parle encore de sa vidéo un an après, Mathilde Savoye espère que l’élan de solidarité qui s’est exprimé va se poursuivre pour résoudre les défis auxquels se confrontent les chefs d’exploitation, hommes comme femmes. « On parle de main d’œuvre, mais il ne faut pas mettre de côté l’humain et le relationnel. Il ne faut pas hésiter à écouter et à s’adapter » pointe-t-elle.
Devenant de plus en plus prégnante, la difficulté de recruter et fidéliser les salariés a trouvé sa porte-parole grâce à une vidéo devenue virale (et reprise sur de nombreux médias). Impliquée dans la section jeune du Syndicat Général des Vignerons de Champagne (SGV), Mathilde Savoye pointe la nécessité de porter d’autres combats : notamment la transmission et l’installation des jeunes.
Aux côtés de sa sœur Julie et son frère Valentin, Charlotte De Sousa a pris depuis 2020 la succession de ses parents dans la gestion de la maison familiale de Champagne, créée au début des années 1950 à Avize, au cœur de la Côte des Blancs. Le vignoble exploité par la maison De Sousa s’étend aujourd’hui sur 10 hectares. En 2022, Charlotte De Sousa s’est distinguée par une idée originale : créer une série de vidéos traduites en langue des signes, plus accessibles à la communauté sourde, à laquelle on ne pense pas nécessairement lorsqu’il s’agit d’imaginer des supports de dégustation. « Je n’ai pas de proche concerné par ce handicap. J’ai simplement découvert le langage en m’y initiant pour signer avec mon bébé. Je me suis prise au jeu et en approfondissant, je me suis rendu compte qu’il n’existait pas de mots propres à l’univers du vin », retrace-t-elle simplement.
Désireuse de faciliter l’accès au vin pour les sourds et malentendants, la jeune femme s’est rapprochée de la société adaptée LÉA de Champagne pour proposer une série de 11 vidéos pédagogiques, simples d’accès dans des formats courts, où elle retrace l’histoire et la production de la maison De Sousa. « Les cuvées, la démarche, les méthodes, et l’histoire des Champagne de Sousa sont présentées grâce à la société adaptée LÉA de Champagne, qui a opéré à la traduction en langue des signes française », décrit Charlotte De Sousa.
Mais celle qui se charge de la commercialisation, le marketing et la communication de la maison familiale de champagne ne s’est pas arrêtée là, et a voulu aller au bout de la démarche en faveur du public sourd et malentendant. « Nous sommes trois membres de l’équipe à nous être formés à la langue des signes avec l’Association des Sourds de Reims et de Champagne-Ardenne, afin de pouvoir organiser des visites de caves, ce que nous avons pu mettre en place depuis l’été 2022 », confirme Charlotte de Sousa. Seuls quelques groupes ont pour l’instant bénéficié de ces visites adaptées, mais Charlotte De Sousa confirme que « l’information se diffuse dans le milieu des sourds et malentendants, notamment auprès des associations, avec un effet boule de neige ». Même si le temps lui manque un peu, la jeune vigneronne reconnaît « s’éclater à proposer ce service », et va encore enrichir ses propositions en proposant des stories et publications sur les réseaux sociaux correspondant aux moments de vie et de production de la petite maison familiale.
En collaboration avec des psychologues, Sophie Tempère travaille sur la relation entre les émotions et la dégustation. Passée de la parfumerie à l’œnologie, en rejoignant l’Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux, la docteure en neurosciences « encadre une thèse visant à répondre à deux questions : en quoi le vin peut véhiculer des émotions ? Et en quoi le statut émotionnel peut impacter la dégustation ? » explique-t-elle. L’objectif ? Aider les organisateurs de concours ou les organismes de contrôle à évaluer l’impact de l’état d’esprit des dégustateurs sur les résultats de la dégustation.
Sophie Tempère, c’est le « Connais-toi toi-même » de la dégustation. « Je veux aider les gens à mieux se connaître pour mieux déguster et profiter du plaisir lié au vin ».
La pandémie de Covid-19 a également délié les langues des dégustateurs ayant perdu le goût ou l’odorat. « Les professionnels du vin parlent plus facilement des fluctuations de perceptions dont ils souffrent au quotidien ». Sophie Tempère les écoute et les soulage, rappelant que les troubles sensoriels concernent en temps normal 5 à 15 % de la population.
Toutes les victimes d’une anosmie ou d’une hyposmie peuvent bénéficier gratuitement du kit de rééducation et des exercices qu’elle a imaginés pour ses étudiants. Sophie Tempère compile aujourd’hui les résultats d’une enquête visant à mieux cerner les problèmes sensoriels rencontrés par les œnologues. « Si quelqu’un remarque qu’il sent moins les odeurs de réduction dans les vins, il doit pouvoir se confronter à d’autres témoignages et se rassurer en sachant que les personnes qui ont vécu la même chose ont récupéré ».